notes de lecture : "À table ! petite philosophie du repas"
À table ! petite philosophie du repas
Martine Gasparov
dessins de Violaine Leroy
Gallimard jeunesse - Giboulées
Le cru et le cuit
Tous les goûts sont dans la culture
Repas divins et festins royaux
Les plaisirs de la table
Le cru et le cuit
Le repas comme contrainte quotidienne, cyclique. Le corps nous impose ses besoins.
"Tant que nous aurons le corps associé à la raison [...], nous n'atteindrons jamais ce que nous désirons et nous disons que l'objet de nos désirs, c'est la vérité. Car le corps nous cause mille difficultés par la nécessité où nous sommes de le nourrir; qu'avec cela des maladies surviennent, nous voilà entravés dans notre chasse au vrai."
Platon
L'animal mange dès qu'il en ressent le besoin, guidé par son instinct.
L'homme fait son repas : il prend le temps de le préparer, il ne se sert pas instinctivement des produits de la nature. L'animal mange "tout cru", alors que l'homme prépare et souvent cuit ses aliments.
L'homme a progressivement appris à cuisiner : transformer, combiner , modifier.
L'homme sait attendre (saliver, déguster).
Le besoin se différencie du désir : le besoin nécessite de combler la faim. Le désir renvoie à une part de rêves et d'images qui procurent du plaisir. Le besoin est indifférencié alors que le désir est propre à chaque individu.
Charlie Chaplin dans La ruée vers l'or, isolé dans une cabane perdu, affamé, simule un repas en faisant travailler son imagination. L'homme est omnivore et a testé beaucoup de mets différents, alors que les animaux on un comportement alimentaire dicté par l'instinct. L'animal n'a pas le choix de ce qu'il mange alors que l'homme prend toutes les libertés.
"L'un [la bête] choisit ou rejette par instinct et l'autre [l'homme] par un acte de liberté. ce qui fait que la bête ne peut s'écarter de la règle qui lui est prescrite, même quand il lui serait avantageux de le faire [...]. C'est ainsi qu'un pigeon mourrait de faim près d'un bassin rempli des meilleurs viandes, et un chat sur des tas de fruits, ou de grains quoique l'un ou l'autre pût très bien se nourrir de l'aliment qu'il dédaigne, s'il s'était avisé d'en essayer."
Rousseau
Tous les goûts sont dans la culture
Le repas est pour l'homme un phénomène culturel. L'homme a su discipliner ses pulsions , maîtriser ses appétits. Nous mangeons selon des codes bien définis. Le comportement est ritualisé, des règles sont élaborées, il existe des normes de conduite à table.
L'évolution des coutumes alimentaires relève d'un processus historique lent, que Norbert Elias appelle le processus de civilisation. Il consiste à arracher l'homme à l'animalité et à s'élever vers le raffinement de comportements proprement humains.
L'homme accompli est un homme civilisé. Cela n'est ni naturel, ni spontané. À la Renaissance l'éducation est un enjeu central. comme le dit Erasme "On ne naît pas homme, on le devient". La morphologie ne suffit pas à définir l'humain tel qui doit être. Il doit apprendre à devenir un homme, c'est à dire à faire sienne les valeurs fondamentales de l'humanité. (courant de pensée "humaniste")
La majorité de ces règles tendent vers la différenciation de l'homme avec l'animal (dissimuler les dents, la langue, fermer la bouche). La plupart des usages et des codes du repas sont destinés à cacher le fait qu'n est en train de satisfaire un besoin naturel.
Les manières de table n'ont rien de naturelle car elles constituent autant de formes inventées pour cachée, gommer, effacer la nature.
Nos normes de bienséance ne sont pas universelles et nous avons tendance à mépriser ce qui nous semble étrange et étranger à nos façons de faire. Nous faisons preuve d'ethnocentrisme.
Repas divins et festins royaux
Manger n'est pas toujours se nourrir ( rites religieux). Il existe des nourritures sacrées, dépourvue de vertus alimentaires. Le repas permet de rassembler les fidèles autour de règles qui ont également pour rôle de les rapprocher de Dieu.
De manière plus générale, le repas est un lieu d'échanges et de partage.
" La gourmandise est un des principaux liens de la société"
Brillat-Savarin
"Manger ensemble , c'est ouvrir un espace de discussion qui est en même temps un espace de sociabilité, de convivialité permettant de rassembler les hommes autour d'idées, de valeurs et d'intérêts [...]."
"Épicure dit qu'il est plus important de considérer avec qui l'on mange et l'on boit que ce que l'on mange et l'on boit. Car manger de la viande sans la compagnie d'un ami, c'est une vie de lion ou de loup".
Sénèque
Le repas est un ciment social. Les révolutionnaires français intriduirent à la fin du XVIIIème siècle les banquets civiques. Moment de partage de nourriture et de valeurs communes , d'égalité, de fraternité. Chacun apportait à manger, et chacun pouvait se servir de ce qui lui plaisait. Une manière d'effacer les inégalités entre pauvres et riches, et de lutter contre le désir égoïste de vouloir garder ce que l'on possède pour soi.
"À Sparte Lycurge utilisait ces repas en commun pour combattre les différents excès nuisibles à l'égalité sociale et au bon fonctionnement de la société, notamment la propension des riches à paresser devant des tables trop garnies. Manger ensemble une nourriture commune et frugale , c'est savoir se contenter de peu, s'abstenir d'envier ce qu'à son voisin, et lutter contre le goût du luxe et la paresse.
Le repas est un important enjeu social et politique. Il peut rassembler les hommes dans un esprit démocratique de convivialité, d'égalité, de fraternité. Mais à y regarder de plus près il peut aussi être un arme pour asseoir sa domination, marquer sa supériorité et sa puissance sur les autres. "